Itxaro Borda

Le Guide du mois août 2020

Photo : Séverine Dabadie

C’est au cœur du Petit Bayonne, à la terrasse du Café des Pyrénées, que j’ai eu le privilège de rencontrer Itxaro Borda. Son nom m’avait été soufflé par un ami dont la vision me nourrit quotidiennement.
« Une femme éclairée, historienne de formation, postière de profession, écrivaine en euskara et français qui multiplie les expériences littéraires avec un regard avisé ».
C’est tout ce que je savais d’elle avant de « partir » 2h à la découverte de son univers.
Je l’ai quittée charmée en cette belle journée d’été. Me voici -maintenant- très heureuse de vous mener à sa (re)rencontre et de vous annoncez qu’elle est Le Nouveau Guide en ce mois de Juillet 2020 !

Alors, Itxaro, parlez-nous de vous, racontez-nous votre parcours ô combien vivifiant, s’il vous plait…

Parler de soi ? Parler de moi ?

Je n’en ai pas trop l’habitude. Je n’aime pas cela, je dois le dire.
J’hésite encore mais je me lance. Allons-y !

Je suis née à Bayonne, en 1959, l’année de la révolution cubaine, si cela dit quelque chose à nos amis lecteurs, sous le signe du bélier.
Donc, à la fois déterminée, optimiste, allant toujours de l’avant, mais aussi têtue, introvertie, obstinée jusqu’à l’absurde, consciente de l’ambiguïté de la situation : grand écart permanent, mais je retombe sur mes pieds, comme un chat sauvage.

J’ai parlé basque durant toute mon enfance à Orègue. On était des vrais enfants de paysans, batailleurs et joueurs. Changement de langue, d’environnement, de culture dès l’âge de six ans, dès le début de notre scolarisation : on se retrouve soudain dans un entre-deux, troublant, genre gouffre sans fond, mais l’apprentissage du français nous ouvrit les portes de la lecture, de la récitation, debout, à haute voix et de l’écriture dans une certaine mesure.

J’ai passé mon bac au lycée agricole Jean Errecart à Saint Palais, puis j’ai continué en étudiant l’anglais, j’adorais cela, et puis l’histoire, en obtenant un DEA en 1985. J’étais déjà écrivaine, j’avais un nom, je signais Itxaro Borda dans plusieurs journaux du Pays Basque nord et sud, je participais à la création de la revue Maiatz en 1981, publiais un recueil de poèmes en 1984 et un roman à scandale Basilika (La basilique) en 1985. J’ai intégré La Poste à ce moment-là, à Paris. Ambiance exil et prolétariat provincial.

Je n’ai jamais cessé d’écrire : romans, essais, poèmes, textes pour les chansons, articles, récits, nouvelles. Beaucoup de traductions aussi, du français au basque et du basque au français, comme si j’avais besoin des apports des cultures présentes en moi pour pouvoir créer dans une ou autre des deux langues. Une espèce de schizophrénie culturelle, parfois un déchirement, parfois un plaisir indicible. Ces dernières années, selon les projets ou les demandes, j’utilise également le français, directement, sans passer par la traduction : je est alors, un(e) autre, tout en étant je(u).

J’ai eu le Prix de Littérature Euskadi en 2002 pour un roman ironique et satirique intitulé 100 % Basque, le deuxième remis à une femme et le premier à un auteur du Pays basque nord. Le Prix Rosalia de Castro du PEN de Galice en 2010, celui du Biltzar de Sara en 2016 et celui de la ville de Bayonne-Eusko Ikaskuntza en 2019.
Bien que le basque soit considéré comme une langue à diffusion limitée, je pense que j’ai vécu une vie d’écrivaine pleine et riche en rencontres et en voyages à travers le monde : trois semaines au Mexique en 2007 m’ont rendue accro aux séries de narcotrafiquants et quinze jours de 2013 en Islande ont renforcé mon admiration inconditionnelle pour Björk et pour la faille géologique de Thingvellir qui fait trembler autant notre planète que nos cœurs.

Je suis silencieuse et rêveuse. Un peu absente au monde, tout en y étant totalement présente. J’observe, j’écoute, j’écris. Mes personnages racontent la face sombre de la société basque, du monde qui nous entoure puisque les frontières n’existent pas, en particulier par la voix de ma détective rurale et lesbienne Amaia Ezpeldoi, dans les cinq romans publiés jusqu’ici. Deux sont en édition bilingue, Entre les loups cruels (2002) et Ultimes déchets (2015).
L’écrivain est un individu solitaire, juge et partie, égotiste et partageant son point de vue, qui lui semble indispensable.

Cinquante ans d’écriture, et finalement d’énergie créatrice, pour dire les maux et les mots, pour témoigner et résister, se perdre et se retrouver sans savoir où aller, poser des verbes d’actions sur le papier comme des pierres blanches afin de baliser un chemin créatif, peut être éphémère, tant qu’il y aura des lecteurs.

Je ne sais si ce portrait est vraiment le mien. »

Itxaro Borda

Des mots et une voix qui nous souffle des voies de bon sens et que je vous invite à écouter grâce à cette interview d’Isabelle Noguès, en podcast sur France Bleu Pays Basque.

Les chroniques de Juillet d’Itxaro :
> UDABURU * SOLSTICE D’ÉTÉ
LICQ, LIGI – ÉLOGE DE LA RÉSISTANCE
OPÉRATION ESCARGOT


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